Me faire voler mon vélo est une peur qui revient chaque jour, au moment d’attacher mon précieux à un poteau. Surtout dans les lieux où je ne peux pas le garder à l’oeil. Je me suis fait voler un vélo, il y a 9 ans. Funeste jour que ce lundi de rentrée des classes, en septembre 2008. Débutant complet dans la pratique du vélo urbain, j’avais attaché le cadre à un arceau, sur un parking à vélo, à côté de la gare Lille Flandres. Un lieu fréquenté. “Attaché” dis-je, mais le terme “noué” serait plus exact, étant donné la faiblesse de ces cadenas spirale. Adieu, donc, B’twin neuf. Adieu 300€. Et j’ai dû rentrer chez moi, courses à la main. J’ai ensuite acheté un vélo à 50€, vieux et rouillé, moins susceptible d’attirer l’attention, accompagné d’un antivol en U, plus lourd, plus efficace. Et je ne suis pas le seul !
Il y a un sérieux problème avec le vol de vélo. L’autre jour, j’en vois un mal attaché dans la rue, et je dis à ma copine “En voilà un qui ne pourra pas se plaindre!”. Remarque classique. Il y a de la vérité dans ce que je dis, mais elle m’a répondu “Ta remarque devrait plutôt être : est-ce normal qu’il y ait tellement de vols?”. A qui la faute ? Pas à mon père, pas à sa mère. Ce pauvre bougre est-il vraiment responsable d’avoir mal attaché son vélo ? Lui propose-t-on des solutions adaptées ? Mais que fait la police ?!
Je ne m’attaquerai pas à une hypothétique étude psychologique ou philosophique du vol, ni même du voleur. Dans ce dossier de 4 articles, nous allons partir en exploration. Quels sont les chiffres du vol de vélo ? Quel impact sur les utilisateurs ? Quelles solutions existantes ? futures ? Que penser de tout ça ? Emmanuel Macron s’est-il fait voler un vélo ? Si oui, comment a-t-il trouvé la force de devenir président ? Voilà pour le suspense, nous allons maintenant passer à l’analyse.
De beaux chiffres, dans la moyenne européenne
Oui, tout à fait Thierry, de bien beaux chiffres pour le marché français du vol de vélo. Autour des 300.000 vols par an depuis 2006. En baisse par rapport à 2002-2003, où l’on recensait dans les 400.000 vols par an. Une partie des vols n’étant pas déclarés à la police, difficile de trouver un chiffre exact.
J’ai d’abord pensé que c’était élevé, puis je suis allé voir les chiffres les plus récents de nos pays voisins : Angleterre, Allemagne, Danemark, Hollande. Laissez moi vous dire que nous pouvons relativiser et souffler, la France, pour une fois, n’est pas une exception. Voici les données que j’ai pu récolter sur internet (les sources sont en langue d’origine du pays) :
On peut remarquer le nombre exceptionnellement élevé de vols de vélo en Hollande. Il a baissé ces dernières années mais continue d’être parmi, ou peut-être le taux le plus élevé d’Europe ! Quand au Danemark, c’est l’inverse, le vol de vélo est bas. C’est surtout l’occasion de comprendre que le phénomène est également très répandu chez nos voisins.
Ces chiffres impressionnant m’intriguent, et m’ont fait repenser à l’histoire de Richard.
Richard est un coréen que j’ai hébergé via l’extraordinaire réseau Warmshowers, et qui a eu le malheur de laisser son vélo dehors pendant la nuit précédant sa venue chez moi à Madrid, attaché par un simple cadenas en accordéon. Adieu! Beau vélo de voyage Surly à 2000€. Bonjour! Vélo d’occaz à 300€ pour son premier trip en solo de quelques milliers de kilomètres. La peur de se faire voler son vélo est banale…chez nous. Elle ne semble pas l’être chez lui. Il m’a expliqué qu’en Corée, les vélos se font peu voler car il y a beaucoup de caméras de sécurité. Je suis allé faire quelques recherches et j’ai trouvé un article qui ne cite pas ses sources mais avance le chiffre de 200 vélos volés par mois dans Seoul, ce qui donnerait environ 2400 vols par an pour une ville de 10 millions d’habitants, avec un taux d’élucidation des vols par la police de 50% ! (2e trimestre de 2009). Difficile d’aller plus loin dans ma recherche de chiffres sur internet, les articles en anglais sont rares mais deux amis cyclistes qui ont traversé la Corée m’ont confirmé ce que Richard me disait : le vol de vélo n’est pas un sujet. Les cadenas ne servent parfois qu’à tenir le vélo au poteau. Cet article avance le chiffre de 7300 caméras dans Seoul contre 1300 à Paris. Dans la capitale, en 2012, on est entre 4000 et 6000 vols pour une population similaire. Je n’ai pas trouvé le taux d’élucidation, mais par exemple, la moitié des arrestations du premier trimestre 2012, l’ont été pour des vols de vélib…
Une enquête
J’ai voulu en savoir plus, et plonger dans les études, les recherches, les articles autour de ce phénomène. Premier constat : c’est une denrée rare. La majorité des articles de presse, ou posts de blog ânonnent les mêmes données, sans prendre la peine de donner ni une contextualisation, ni des dates précises, ni citer les sources. Les blogs se citent entre eux, c’est décevant, pas grand chose à se mettre sous la dent.
Néanmoins un rapport sorti en 2003 revient souvent, car c’est le seul a être accessible sur internet, autant dire pour la génération google, le seul qui n’ait jamais été produit.
Dirigé par Frédéric HERAN de l’institut de recherche IFRESI-CNRS de Lille, il s’attaque avec méthode à l’analyse du phénomène et aux méthodes de prévention à l’aide de 1103 retours utilisateurs, et 630 cas de vols détaillés.
Dur apprentissage
La première chose frappante qui ressort de cette étude est le manque de précautions des cyclistes, et tout particulièrement des cyclistes débutants. Un cycliste urbain qui a 3 ans de pratique a 14 fois plus de risques de se faire voler son vélo qu’un cycliste qui a 15 ans de pratique. Les cyclistes inexpérimentés sous estiment très fortement le risque de se faire voler. C’est exactement ce qui s’est passé pour moi à Lille. Je n’avais même pas envisagé le risque de vol, l’ayant toujours laissé dans mon garage familial. Il ressort de l’étude qu’environ 1 cycliste urbain sur 2 s’est fait dérober un vélo. Tout de même. Plus simple à voler qu’une voiture ? « Seulement » 110.000 vols de voitures en France en 2016. Moins risqué et plus simple.
Une impression trompeuse
Plus surprenant, les vols concernent presque autant les lieux publics que les lieux privés, et dans ceux-ci, les locaux fermés sont de loin les plus concernés. Quelques calculs plus loin, l’auteur de l’étude nous montre que 45% des vélos volés dans les locaux fermés ainsi que 24% de ceux volés dans des cours n’étaient pas cadenassés. Les cyclistes ont donc une confiance très excessives dans les locaux fermés, ou qui donnent simplement l’impression d’être fermés et donc sécurisés. C’est un point important car 14 ans après cette étude, je vois régulièrement passer des messages sur facebook de vélos volés dans les cours, les hall d’immeubles, les garages collectifs…
Vive le vol, vive le vol, vive le vol d’été
On l’aurait deviné, les beaux jours annoncent la belle moisson car plus de la moitié des vols ont lieu d’avril à juillet, et, qu’on se le dise, ce sont surtout les vélos en bon état qui attirent les larrons. #surprenant
Après la pluie, le mauvais temps
Près de la moitié des victimes n’ont aucun moyen d’identifier leur vélo volé, et d’ailleurs la moitié d’entre eux n’ont pas porté plainte. Pas de preuve d’achat, pas d’immatriculation. Le chercheur oublie de parler des photos. Il semble que ce soit admissible comme preuve, au vu des conseils donnés par les gendarmeries, par exemple celle de Bordeaux, préconisant d’amener, entre autre pièce justificative, des photos pour réclamer son vélo.
Seulement un quart des vélos étaient assurés, et un petit 15% avait une assurance spécifique vélo, en plus des assurances habitation par exemple. La plupart des cyclistes ont donc simplement perdu leur argent.
Vélo envolé, cycliste désabusé
Un cycliste sur 5 renonce au vélo après un vol. C’est un chiffre très fort. Il n’y en a pas d’autres à disposition, c’est celui que je garderai en tête.
Le vol a donc un aspect dissuasif important. Il est à prendre en compte dans la politique de développement vélo
Il faut aussi savoir que le prix moyen d’un cycle augmente chaque année. En 2011, il s’élevait à 265€ pour atteindre 337€ en 2016. Effet VAE, montée en gamme générale, il y a plusieurs raisons à cette hausse. Elle a pour effet de poser la question du vol avec plus d’acuité, et c’est pour cela que j’ai eu envie d’écrire ce dossier spécial vol.
Mais que fait la police ?
Avec un taux moyen d’élucidation de 1% (selon le rapport sorti en 2003), on est pas sur du Sherlock Holmes. Sur l’ensemble des vélo retrouvés, 1 sur 5 l’est suite à l’action de la police. Les 4 autres se sont retrouvés tout seuls. Hasard, chance, recherches personnelles…
Contrairement à l’Allemagne par exemple, qui dispose d’une rubrique spécifique vol de vélo lorsqu’il y a déclaration de vol, ce n’était pas le cas de la France à l’époque de la sortie du rapport. Ainsi, en 2003, il n’était pas possible de distinguer un vélo d’un autre bien, et toutes les plaintes partaient dans la catégorie “autres vols simples au préjudice de particuliers”. Vols simples, vols simples…le vol était peut être simple dans les fait, mais ce n’est pas un simple vol ! Aujourd’hui il semble que les choses ont évolué. Chacun peut voir par lui même sur le site du gouvernement le nombre de plaintes pour vol de vélo en 2016 (il s’agit d’une enquête Insee-SSMSI-ONDRP, donc pas sûr que ce soit le nombre exact de demandes faites dans un commissariat).
Lors de l’étude en tout cas, sur le nombre de plaintes déposées, 5% n’ont pas été enregistrées, et 14% l’ont été avec réticence. Le numéro du cadre n’est pas demandé systématiquement, même si c’est la manière la plus simple d’identifier un vélo. On devine en filigrane le manque de moyens, d’envie ou d’ambition des institutions publiques alors que le vélo représente 8% de l’ensemble des vols déclarés en France. J’imagine bien le discours : « Félicitations Hubert, En retrouvant 10 vélos l’année dernière, vous avez fait progresser le taux d’élucidation de 30%. Les cyclistes vous doivent une fière chandelle. »
Bicycode : Belle initiative de la FUB
En 2015 a été signé un accord entre la Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) et la police/gendarmerie rendant accessible la base de données Bicycode aux commissariats et autres lieux de dépôt de plainte. C’est aujourd’hui la seule base de donnée dédiée au vélo reconnue et utilisée par l’Etat. Depuis 2004, année de son lancement, plus de 237.000 vélos ont été marqués physiquement puis enregistrés sur le site bicycode.org. C’est une avancée importante, car déjà en 2011, 6,5% des vélos volés et marqués ont été restitués à leur propriétaire, alors que ce chiffre est de seulement 2 à 3% si le vélo n’est pas marqué.
Un point positif pour nos forces de l’ordre néanmoins, des sites internet ont été créés au niveau des villes, comme à Strasbourg ou à Nantes, pour publier les photos de vélos retrouvés. C’est une super initiative. J’attends maintenant l’application qui enverra des alertes automatiques aux cyclistes dépossédés illégalement de leurs bien. Bon, ne poussons pas mémé dans les orties.
Place à l’action conjointe
Le premier pas me semble clair : il faut compliquer la tâche des voleurs et des receleurs. Rendre le vol de vélo moins attractif, moins facile ! Quoi de mieux que de rendre son vélo unique ? Un mouvement collectif de marquage des vélos est en cours, nous sommes dans la bonne direction. Marquer son vélo permet également de montrer à l’Etat l’importance du phénomène, et de le pousser à réagir aux côté des usagers. Et bien sûr, ce mouvement de marquage va dans le sens du développement du vélo comme véhicule de transport quotidien car la démarche parle d’elle même : ce n’est pas un jouet pour adulte, c’est un véhicule enregistré, qui mérite l’attention de la société.
Merci d’avoir suivi ce premier article sur le vol de vélo ! J’espère vous avoir apporté quelques connaissances utile dans la compréhension de ce phénomène si courant, et pourtant si ennuyant.
Ma conclusion est que le cycliste urbain est responsable de l’attache correcte de son vélo car les chances de se faire dérober son précieux sont élevées et j’ai le sentiment que la société n’est pas encore prête à passer à Big Brother en mettant des caméras partout comme à Seoul. Les voleurs ont de beaux jours devant eux. A part pour des filières organisées, j’imagine mal la traque de voleurs de vélo par caméras de surveillance. Par contre, si l’usager à une responsabilité, l’Etat ainsi que les vendeurs de vélos, neufs ou d’occasion, ont le devoir d’éducation et de conseil qui va avec la vente d’un vélo. Quel cadenas est le plus sécurisé, comment attacher le vélo, à quel endroit etc. La FUB est un acteur clef dans ces questions.
En outre, il nous faut plus de données ! Les lieux de vol les plus fréquents, les vélos les plus volés. Pour cela, il faudra unir les forces et se battre pour la survie de l’empire. #vélovolé : l’usager contre-attaque. Ou sinon simplement populariser les sites existants, et travailler encore plus avec la Police sur la structuration des détails des vols. Nous verrons cela dans un prochain article.
Dans les prochaines semaines, nous allons explorer les solutions technologiques visant à limiter le vol. Il fleurit toute sorte de cadenas connectés, de GPS ou de solutions plus radicales à la Van Moof, marque hollandaise de vélos électriques. L’innovation au service du cycliste ?
Quand à moi, je vous dis donc au revoir, et à la semaine …
…euh, prochaine !
Pour aller plus loin :
- Le rapport de Frédéric HERAN : https://www.bicycode.org/pages-1/Documents_PDF/rapportvol2003.pdf
- Le site de la FUB : http://www.fub.fr/