Vélomobile : un véhicule à la croisée des mondes

Prendre mon vélo chaque jour pour me déplacer est un plaisir. Mais la météo perturbe parfois cette harmonie, si fragile. Le vent et la pluie sont des ennemis redoutables ! Dans le cas du vélotaf, la pluie est particulièrement pénible. Les habits trempés nous donnant un côté Robinson urbanoé, certes aventureux, original, mais peut être inadapté à notre intégration sociale.

Je me suis souvent torturé le cerveau pour essayer de trouver des solutions permettant d’aller au boulot à vélo tout en m’habillant normalement quelles que soient les conditions. Porter des habits #techwear intégrant la technologie des vêtements d’extérieur, type randonnée ou bateau, avec un style d’habits de ville, ou alors rajouter un pare-brise au vélo. La première solution se développe de plus en plus mais n’est pas encore assez satisfaisante à mon goût, et la deuxième, et bien je vous laisse regarder et vous me direz si ça vous tente ! Moi je passe mon tour…

© Kaps
© Kaps – Keep riding…slowly

 Mais j’ai récemment eu l’illumination.

Le vélomobile! À moins qu’on ne dise la vélomobile! Disons la vélomobile, c’est joli.

Bref, je suis tombé sur cet article du magazine 200, paru en septembre. L’auteur faisait Le Mans-Paris, sur une vélomobile du fabricant français Cycles JV & Fenioux. Certes, on aurait dit une voiture de course et rien que pour le côté Ferrari ça donnait envie, mais surtout je me disais, ne serait-ce pas le véhicule vélotaf ultime ? Rigoler sous la pluie ! Fendre le vent sans effort ! J’ai donc cherché à en savoir davantage sur ce moyen de transport et les raisons de son invisibilité urbaine.

ABC : qu’est-ce qu’une vélomobile?

Voici la définition Wikipédia :

Un ou une vélomobile est un cycle protégé par une carrosserie aérodynamique. Cette carrosserie, généralement rigide, est soit complète, soit ouverte dans la partie supérieure. Pour des raisons d'équilibre et pour diminuer la surface frontale, les vélomobiles sont généralement bâtis sur le principe du tricycle couché : Le cycliste est assis bas, sur un siège muni d'un dossier incliné en arrière, et le pédalier est en avant.
La carrosserie a pour but de protéger contre les intempéries et, le plus souvent, d'obtenir un substantiel gain aérodynamique. Elle peut protéger aussi en cas de chute ou de collision. Le vélomobile peut être pourvu d'une assistance au pédalage.

Je rajouterai qu’une vélomobile peut avoir 2, 3 ou 4 roues. Le plus courant que j’ai pu observer est 3 et 4 roues, les 2 roues étant souvent destinées à la compétition.

Vue complète d’une vélomobile – www.velomobiles.co.uk

Des performances excellentes

Après lecture du magazine 200 et autres sources internet (Wikipédia, divers blogs de passionnés, mémoire de fin d’étude), il apparaît rapidement qu’une vélomobile est plus efficace sur un terrain plat que n’importe quel autre vélo droit. Pour le même effort, calculé ici en watt, la vitesse moyenne d’un vélo classique oscille entre 15, 20 et 27 km/h selon 3 niveaux de vélo (un vélo en mauvais état, un bon vélo standard, et un vélo de course) et celle d’une vélomobile entre 28 et 34 km/h. La forme aérodynamique d’une vélomobile lui confère en effet un sérieux avantage quand les frottement de l’air se font trop pressant. Le record du monde est établi depuis septembre 2016 à 143 km/h ! Réalisé à la force des jambes. Impressionnant.

Au delà de cette efficience extraordinaire, une vélomobile protège son utilisateur des intempéries et lui permet de transporter facilement les petits colis de la vie quotidienne, comme un enfant (enfin, vous me comprenez), un chien ou des courses.

Il est également possible d’ajouter une assistance électrique qui viendra pallier les difficultés rencontrées en montée (voir paragraphe suivant), ou tout simplement simplifier l’effort comme pour un vélo électrique. Le poids du système pèse autour des 7 kg mais ce blog évoque entre 60 et 130 km d’autonomie pour une batterie de 288 Watt-heure, un joli score. En comparaison, la Renault Zoé propose une batterie de 41 Kilowatt-heure pour 400 km d’autonomie. Je suis convaincu que la vélomobile possède des atouts pour prendre une place de véhicule urbain dans le coeur des citadins, d’où cette comparaison osée. Je suis conscient qu’une voiture atteint des vitesses supérieures et offre plus de place et de confort.

La vélomobile est donc un véhicule à la fois performant et pratique, qui présente néanmoins quelques désavantages face à un vélo classique.

Une comparaison pas toujours gagnante

Pourquoi la vélomobile peine-t-elle à s’installer comme solution de mobilité accessible à tous ?

Nous avons vu que sur le plat, la vélomobile est imbattable. Mais en montée, ce n’est pas la même histoire. La vitesse moyenne des vélos classiques est évaluée à 6, 10 et 12 km/h (pour les mêmes vélos que précédemment) contre environ 9 km/h pour une vélomobile. Ce qui est bien, mais pas top. Rappelons qu’il est possible d’ajouter l’assistance électrique dont nous parlions dans le paragraphe précédent, ou simplement d’accepter de rouler moins vite qu’un vélo normal, mais dasn tous les cas, cette difficulté ne peut pas être ignorée.

Toujours dans la comparaison avec le vélo, le poids d’une vélomobile, aux alentours des 30 kg, combiné à un encombrement supérieur ne rend pas les choses faciles, particulièrement en ville où l’espace est limité. Pas question de porter sa vélomobile sous le bras pour monter quelques étages, ni de la mettre dans l’ascenseur. C’est une critique fondée, mais qui peut être résolue par la location d’une place de parking, proposée à partir de 15€/mois par Saemes par exemple, et j’ai pu voir que Paris travaillait à proposer des lieux sécurisés pour y garer son vélo. Soyons honnêtes, cela reste marginal mais a le mérite d’exister et de se développer. Y aurait-il une opportunité business sur le parking courte durée de véhicules comme la vélomobile ? la question est posée.

Il y a également une difficulté supplémentaire sur la maniabilité de la vélomobile. Son poids, son châssis bas, ainsi que l’absence de marche arrière peuvent rendre difficile un demi-tour, et il est compliqué de monter sur un trottoir sans sortir du véhicule et le monter manuellement. Enfin, les chicanes l’empêchent parfois d’accéder aux pistes cyclables, la forçant à prendre la route.

Néanmoins, je crois que le principal frein au développement de la vélomobile aujourd’hui est d’une autre nature. Le prix ! Pour le modèle d’entrée de gamme, il faut compter 4000€ tout monté, ou 2695€ en kit, tarif raisonnable et accessible. Mais pour des modèles plus attractifs, ce n’est plus une demi décision. Les tarifs commencent autour des 7000€ et tendent plutôt vers les 10000€. Le prix d’une voiture, ou d’un vélo de course particulièrement performant. Sauf que, rappelons-le, le coût d’entretien annuel s’apparente à celui d’un vélo.

marché confidentiel & positionnement flou

Après avoir recoupé Wikipédia et une liste de constructeurs des blogs velomobiles.co.uk et du Vélomobile Club de France, il n’y a finalement qu’une grosse dizaine de constructeurs actifs et reconnus dans le monde.

Velomobiel, entreprise hollandaise et parmi leaders du marché, a produit 1376 vélomobiles en 17 ans! Il s’en vend autour d’une centaine par an.

© Velomobiel – modèle Quest – à partir de 6550€

J’en suis venu à penser que le prix n’était peut être pas le principal facteur qui empêche la vélomobile de trouver sa place en lisant le mémoire de Frederik Van De Walle. Mr Van De Walle est un ingénieur mécanique s’étant spécialisé dans l’ingénierie environnementale et dans les infrastructures durables à Stockholm. Son mémoire de fin d’étude sorti en juin 2004 s’intitule “La vélomobile comme véhicule pour plus de transport durable”. J’en ai retenu quelques idées très pertinentes.

En mettant de côté les transports publics, les 3 types de transports privés suivants ont le quasi monopole des utilisateurs : voitures, 2 roues motorisés et vélos. La vélomobile est perçue par le public comme un mode de transport étrange, coincé entre un vélo haute technologie, ou une voiture basse technologie.

Si celle-ci reste comparée au vélo, et qui plus est comme un vélo marginal, plus marginal encore qu’un vélo couché, alors elle sera confinée dans son marché actuel: un marché de niche, une exception. Il semble également fou de tenter la compétition avec la voiture, trop confortable, trop installée sur le marché et dans les esprits. Cette réflexion prend tout son sens lorsqu’il s’agit d’attribuer une place à la vélomobile dans la circulation. Piste cyclable ou route ? Sa vitesse moyenne suggèrerait une pratique routière, pour ne pas perturber les cyclistes souvent plus lents, mais sa fragilité face à la voiture, tout comme le vélo sur la route, pousse à considérer la piste cyclable comme la meilleure option. La loi considère en tout cas la vélomobile sur le même plan que le vélo, lui donnant accès aux 2.

La vélomobile, un véhicule à part entière

Si malgré ses nombreux avantages, la vélomobile ne peut concurrencer aucun de ses concurrents, et reste bloquée dans l’esprit du consommateur potentiel dans une case “c’est sympa, mais pas pour moi” voire, “c’est quoi ce truc de geek!”, qu’est-il possible de faire pour que les potentiels clients passent à l’action, et pour que la vélomobile s’installe durablement dans le paysage de la mobilité urbaine ?

Frederik Van De Walle propose de créer un nouveau cadre, un nouvel ordre dans le monde de la mobilité, dans lequel vélo, vélomobile, moto et automobile sont 4 entités distinctes. La vélomobile n’est pas un vélo, n’est pas une voiture, n’est pas une moto/scooter. Donner une identité unique à la vélomobile, et faire évoluer cette perception dans l’esprit des consommateurs, c’est le challenge des évangélistes !

Très bien mais essayer de convaincre le grand public de passer à la vélomobile comme moyen de déplacement principal peut être assimilé à la tentation de convertir les gens au vélo en avançant tous les excellents arguments qu’on connaît déjà. L’impact est limité et réjouis surtout les adeptes. Les avantages sont compris facilement, mais la perception de la chose n’est, de base, pas la même. Toutes ces bonnes raisons ne provoqueront pas un passage à l’acte, il faut s’identifier d’abord, imaginer que la transition est possible, et pas seulement être spectateur. La vélomobile est un cas symptomatique. Il faut donc trouver un autre angle et cibler une population définie pour faire rencontrer le marché avec ses potentiels clients.

viser la cible parfaite

Premièrement, il semble opportun de regarder dans la direction des cyclistes, car ils partage la même base, à savoir la propulsion humaine de leur véhicule.

Mais il y a différents types de cyclistes. Ceux qui nous intéressent sont ceux qui roulent régulièrement, et plus particulièrement ceux qui choisissent consciemment de prendre leur vélo pour se déplacer. Ce dernier segment devrait être visé en priorité. Il y a une chance beaucoup plus forte que des personnes se déplaçant à vélo par choix, par engagement, comprennent la logique d’un véhicule tel que la vélomobile. D’autant plus qu’ils sont régulièrement confrontés aux intempéries qu’impliquent une telle pratique. Les vélotafeurs sont donc une cible de choix.

Selon l’étude de l’INSEE sortie en janvier 2017 sur les déplacement à vélo pour aller au travail, 2% de la population active pratique le vélotaf. Ce chiffre passe à 4% dans les communes entre 100 000 et 200 000 habitants et monte à 6% dans les communes au delà de 200 000 habitants, à l’exception de Paris, restant à 4%. La culture du vélotaf est ainsi plus forte dans les grandes villes qu’ailleurs, mais les distances parcourues sont relativement faibles. 4km est la distance où le taux de vélotaf est le plus élevé, alors que l’un des avantages de la vélomobile est de réaliser des plus grandes distances pour un effort moindre. Il faut donc cibler une population qui se déplace régulièrement à vélo sur des plus grandes distances, par exemple à partir de 9 ou 10km. Le taux de personnes prenant leur vélo pour aller au boulot lorsque celui-ci est distant de 9 ou 10km est de 0,9%, et ce chiffre décroit progressivement pour atteindre 0,3% entre 19 et 20km. C’est faible, mais c’est, selon moi, le point d’entrée d’un tel marché. Si la vélomobile trouve preneur dans cette population, alors il peut y avoir un effet positif pour des distances inférieures et une utilisation urbaine.

Le fait de communiquer sur la vélomobile comme véhicule à part entière, et solution de mobilité efficiente et douce, peut amener, pourquoi ne rêverions-nous pas, une action politique. Je pense ici à l’indemnité kilométrique vélo, dont les résultats sont, certes, assez peu probants, dû probablement à son côté facultatif et son plafonds d’imposition sur le revenu placé à 200€…qui équivaut à 800km/an, soit une distance avec le lieu de travail de 2km, et 200 jours de vélotaf par an. Bon d’accord, la tâche ne sera pas aisée, mais il y a une tendance ! Tout comme ces réductions d’impôts sur les flottes de vélo, ou ces places de stationnement obligatoires pour toute nouvelle construction.

Il y a quelques années, très inspiré par la culture startup, je lisais un article de Paul Graham, célèbre investisseur de la Silicon Valley, mais aussi essayiste et programmeur. Cette article s’appelle « How to Get Startup Ideas », ou « Comment Avoir des Idées de Startup ». Une partie de son article m’a marqué :

Lorsqu'une startup se lance, il doit y avoir au moins quelques utilisateurs qui ont réellement besoin de ce qu'elle fait-pas juste des gens qui peuvent se voir l'utiliser un jour, mais des gens qui le veulent instamment. D'habitude ce groupe d'utilisateurs est petit, pour la simple raison que s'il y avait quelque chose dont un large groupe d'utilisateurs avait vraiment besoin, et que ça pouvait être construit avec le volume d'effort qu'une startup met normalement dans sa première version (du produit/service, ndlr) cela existerait probablement déjà. Ce qui veut dire que tu dois trouver le compromis : tu peux soit construire quelque chose que beaucoup de gens veulent un peu, ou quelque chose que peu de gens veulent beaucoup. Choisis la dernière option. Pas toutes les idées de startups de ce type sont de bonnes startups, mais presque toutes les bonnes idées de startups sont de ce type.
Paul Graham - http://www.paulgraham.com/startupideas.html

Je reconnais qu’il manque à mon analyse la connaissance du secteur industriel et la vision quand à la complexité de la production des coques de la vélomobile, mais il est tentant d’appliquer ce principe de Paul Graham à ce secteur. Je suis convaincu qu’une partie des vélotafeurs veut réellement ce produit, et est prête à payer pour l’obtenir. La différence avec les startups mentionnées par Paul Graham (Facebook, Google, Microsoft) est qu’elles proposent un service qui, à l’origine, n’inclut pas de gros investissements dans des machines de production. Selon l’analyse de Van De Walle, il n’est pas encore possible de baisser le coût de ces véhicules car il faudrait investir une dizaine de millions d’euros pour industrialiser la production. Sans ces investissements, et tant que l’image de la vélomobile ne sera pas clarifiée, le coût du véhicule sera un puissant répulsif. Besoin d’un marché pour industrialiser et baisser les prix, mais besoin de baisser les prix pour avoir un marché. Allo Houston, on a un problème.

Repenser l’approche pour faciliter l’accès aux pionniers urbains

Faut-il à tout prix un investisseur fortuné, ou n’est-il pas possible de repenser le modèle d’utilisation d’une vélomobile, en permettant par exemple la location longue durée pour que le consommateur ne soit pas étranglé par le prix ? Est-il possible d’utiliser l’impression 3D pour baisser les coûts de production ? Cela pourrait avoir comme résultat d’accélérer la mise à disposition de ces véhicules sur le marché, et pourrait être organisé en nouant des partenariats avec des FablabPourquoi ne pas créer une communauté d’ambassadeurs urbains qui, se déplaçant uniquement en vélomobile pourraient promouvoir sa pratique? Serait-il possible de développer une stratégie basée sur des influenceurs web, voire des micro-influenceurs dans le monde du vélo ? Les micro-influenceurs sont des personnes qui ont une audience/communauté web assez faible mais très engagée. Leur prêter une vélomobile pendant un certain temps, et voir s’ils arrivent à évangéliser leur communauté.

C’est décidé je monte ma boite de vélomobiles ! Euh, sans aller jusque là, je pense qu’il y a tout un écosystème qui attend d’être déclenché avec les bons leviers.

Conclusion : ça ne vous fait pas penser au segway cette histoire ?

J’ai vu l’autre jour une personne se déplacer en Segway dans la rue, (ou en gyropode, nom générique) et POUF! tout à coup cela m’a sauté aux yeux. Le Segway est l’exemple type de la promesse d’une nouvelle mobilité qui n’a justement pas beaucoup bougé la foule. La faute à un marché inexistant, et à son prix, dans les 7000$…comme notre bien aimée vélomobile ! Qui veut payer 7000$ pour se déplacer sur un gyropode ? C’est quoi d’ailleurs un gyropode ? Un jouet ? Une solution de mobilité urbaine ? 15 ans après la sortie du Segway, et malgré un regain d’intérêt du public, ces engins n’ont toujours pas de législation adaptée, et peinent à trouver leur place. Les débats continuent à l’assemblée nationale.

Le positionnement flou de la vélomobile, sa lutte de place, en ville, sur la route ou sur les pistes cyclables, ainsi que son prix élevé semblent la condamner à un destin similaire au Segway. Cependant, au vu de son efficience, je suis convaincu qu’elle a une carte à jouer dans le paysage urbain qui se dessine. Les villes se ferment aux voitures, se ré-approprient l’espace pour l’offrir aux piétons ou aux cyclistes, et la pollution est une super excuse pour développer des solutions de mobilité écologique.

Mais elle aura besoin de soutien et de créativité pour s’imposer comme une solution de transport viable face aux alternatives qui émergent. Je pense notamment aux initiatives des constructeurs automobiles qui ne lâcheront pas l’affaire si facilement. La Twizy de Renault vient typiquement chasser sur des terres prometteuses.

Je serais ravi de lire vos commentaires et vos idées innovantes sur ce sujet.

En attendant, à bientôt !

Pour aller plus loin :